• Ce livre est en quelque sorte la suite de « La formule de Dieu », paru il y a deux ans, même si le seul personnage qu'on y retrouve est le héros, Tomas Noronha, historien, linguiste, cryptologue, expert en objets anciens, et je ne sais quoi encore. En effet, il semble bien être spécialiste d'un tas de choses hors de sa formation de base, et en particulier connaître en profondeur toutes les théories scientifiques les plus avancées.

     Les mêmes qualités et les mêmes défauts sont présents dans ce nouveau livre, un peu plus court que le précédent, mais plus de 500 pages tout de même. Je vais les reprendre ici.

     Sur le fond, c'est un exposé très pédagogique comme précédemment, centré cette fois sur la théorie quantique et la notion de réalité qui s'y rattache, même si au début se place un long passage portant sur le fonctionnement du cerveau et l'émergence de la conscience, thème malgré tout relié au précédent comme on va le voir. Tout ce qui est expliqué dans le texte est donc parfaitement exact, remarquablement exposé, bien mieux même que ce que j'ai pu lire très récemment dans un numéro spécial 1 de « La Recherche » intitulé : « La réalité n'existe pas ». Je ne vais pas reprendre ici la description de la théorie quantique et de toutes les « bizarreries » qui l'accompagnent, Dos Santos le fait très bien. Par contre, comme c'est par ailleurs un roman, il faut bien distinguer deux choses :

    • ce qui a trait à la description objective et historique de la théorie quantique, qui, je le répète, est très bien fait, même s'il faut parfois s'accrocher pour comprendre de quoi il est question ;
    • ce qui a trait à des hypothèses, des interprétations des faits et des expériences, sur lesquelles les physiciens eux-mêmes ne sont pas du même avis. Ici, Dos Santos fait son choix personnel sur l'interprétation qui lui convient le mieux, sans vraiment expliquer pourquoi, et sans le préciser clairement dans le texte. Il avait fait la même chose dans « La formule de Dieu », choisissant de défendre le principe anthropique en le présentant non comme une hypothèse mais comme un fait acquis.

     Il faut dire que la théorie quantique est une bénédiction pour les auteurs de science-fiction, puisqu'elle démontre scientifiquement et mathématiquement, sans pouvoir l'expliquer philosophiquement ou par le bon sens, des choses aussi curieuses que celles-ci :

    • une particule peut se trouver en deux endroits à la fois ;

    • si on ne l'observe pas, une particule existe sous différentes formes virtuelles dont une seule vient à l'existence au moment de l'observation. Transposé dans le macrocosme, cela revient à dire que « la lune n'existe pas si je ne la regarde pas », ou encore « qu'un arbre qui tombe dans la forêt ne fait aucun bruit s'il n'y a personne pour l'entendre » ;

    • on peut penser que le futur influence le passé ;

    • deux particules reliées à l'origine (« intriquées ») n'en forment qu'une, même si elles se trouvent à des millions de km l'une de l'autre ;

    • pour aller d'un point à un autre, une particule utilise tous les chemins possibles ;

    • c'est le hasard et non la causalité qui explique le monde ;

    Je m'arrête là, car discuter de la théorie quantique peut prendre des pages et des heures, et ce n'est pas en quelques lignes que l'on va ici régler la question. Je m'y exercerai peut-être dans un autre billet, plus tard.

    Néanmoins, le point crucial dans le livre n'est pas de faire comprendre aux gens ce qu'est la théorie quantique (les meilleurs physiciens s'y cassent les dents depuis près de 100 ans, car elle marche, mais on ne sait pas pourquoi...), mais d'essayer de montrer que la conscience est au cœur de l'interprétation des faits observés. De nombreux savants se penchent sur cette question, que John Wheeler a synthétisée de la manière suivante : « L'univers n'existe que parce qu'il y a une conscience qui l'observe ». Je ne peux pas partager ce point de vue, pour trois raisons :

    • qu'est-ce que la conscience ? Nulle part dans le livre elle n'est définie de manière claire. Si on ne dit pas de quoi il s'agit, de quoi parle t-on exactement ?

    • cette phrase suppose que la conscience préexiste à l'univers, elle n'en ferait donc pas partie ? Ailleurs, la conscience est pourtant présentée comme une « émergence » de la vie, et la vie une émergence de la matière. Il y a une contradiction flagrante.

    • la conscience est assimilée en fait à la conscience humaine. Cela voudrait donc dire que si l'homme n'existait pas, l'univers n'existerait pas non plus. C'est encore une fois donner à l'homme une place privilégiée dans le monde, c'est se regarder le nombril en disant « Ah, qu'est ce qu'on est beaux et tellement différents des autres formes de vie ! », c'est donc faire de l'anthropocentrisme et oublier d'être modestes. Dans cette interprétation, l'âme et la religion ne sont pas loin, et aucun animal ne possèderait le moindre embryon de conscience.

    Pour moi, la réalité a une existence objective, qui apparaît sous diverse formes selon la manière dont on l'observe. Comme le dit Niels Bohr : « La tâche de la physique n'est pas de savoir ce qu'est la nature. La physique s'occupe de ce que nous pouvons dire de la nature ».

     

    Parlons maintenant de la forme et de l'intrigue. Aucun progrès n'est perceptible entre ce livre et le précédent, j'ai même l'impression que Dos Santos s'en moque quelque peu. Même si on oublie le style et l'organisation du livre, il y a des choses qui seraient faciles à améliorer par n'importe qui, ne serait-ce que pour rendre l'histoire crédible, ce qu'elle n'est à aucun moment. Faisons brièvement un inventaire non exhaustif de ce qui ne va pas :

    • Noronha, cet historien qui parle de physique et décrypte les formules quantiques très complexes en quelques minutes devant un parterre béat d'admiration ;

    • Bellamy, ce directeur de la CIA qui, à ses moments perdus, a trouvé tout seul la « théorie du tout » que cherchent une armée de savants et prix Nobel depuis 50 ans ;

    • ce même directeur qui pénètre dans le CERN comme dans un moulin alors qu'une expérience cruciale et dangereuse est en cours, qui y circule sans être accompagné alors qu'on sait que c'est un agent de la CIA, et qui bidouille tranquillement les consoles d'accès avec la pointe de son couteau ;

    • le héros (historien) et sa compagne (directrice d'une maison de retraite), pourchassés par les tueurs de la CIA, qui se réfugient dans un labo et ne trouvent rien de mieux pour s'occuper que de faire des expériences de physique quantique pendant des heures ;

    • idem quand ils ont pénétré dans l'appartement blindé du directeur en crochetant la serrure les doigts dans le nez avec une épingle à cheveux, ils causent, ils causent ;

    • idem, alors que la compagne du héros est en danger de mort et qu'il ne lui reste plus que quelques minutes à vivre, Noronha fait un très long exposé sur les ordinateurs quantiques avec même des devinettes dedans, tout comme un conférencier dans un congrès international ;

    • les gens de la CIA sont, au choix, corrompus, méchants, bêtes, arrivistes, sans aucun sens moral. On sait bien que tout ça est un peu vrai, mais caricatural à ce point, c'est risible ;

    • on entre dans le saint des saints de la CIA à Langley comme dans un moulin (encore !) ;

    • l'accumulation de clichés éculés de romans policiers : une directrice de maison de retraite qui crochète les serrures avec brio et avec une épingle ; le coup du crayon qui révèle le texte en creux sur un bloc-notes ; le pistolet qui s'enraye au moment crucial (ouf!) ; le mot de passe de l'ordinateur de la CIA (la date de naissance du directeur !) craqué en deux minutes par un génial hacker ;

    • Maria Flor, la seule femme du roman, qui ne sert strictement à rien, sinon à faire les questions et les commentaires pendant les exposés scientifiques, comme dans les dialogues socratiques, qui fait la tête quand son copain n'est pas gentil avec elle, et qui fait monter une tension « insoutenable » dans la dernière partie quand elle est prisonnière et que son copain disserte doctement.

    Bref, beaucoup de facilité dans cet aspect du livre, qui contraste de manière évidente avec le sérieux des exposés techniques, qui ont dû demander à Dos Santos énormément de travail. Et un ensemble qui rend encore plus incompréhensible le succès du livre précédent et sans doute le succès à venir de celui-ci : de la vulgarisation scientifique de haut niveau, intéressante mais difficile, mal servie par une histoire peu crédible.

    Quant à la conclusion, elle est simple mais n'apporte rien de particulier : l'univers est un ordinateur quantique. Et alors?

    La réalité est finalement ce qu'en disait déjà le Bouddha :

    « Le monde n'est qu'un songe, ses trésors un mirage. Les choses sont irréelles, tout est pure évanescence. »

     

    1  "La Recherche" numéro spécial juillet-août 2014

     


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  • Ce livre a deux facettes : en tant que roman, c'est une catastrophe, mais pour le contenu, c'est d'une part de l'excellente vulgarisation scientifique, et d'autre part une discussion fort intéressante sur le sens et le devenir de l'univers au travers de la science et de la spiritualité, avec deux ou trois réserves sur lesquelles je reviendrai.

    Evacuons tout de suite les questions de forme. L'intrigue est un simple prétexte pour relier des exposés assez didactiques faisant le tour des grandes questions épistémologiques actuelles. En effet, la narration accumule les clichés les plus éculés de l'actualité politique internationale et du roman d'espionnage, sans aucun souci de vraisemblance sur tous les plans : la caricature de la CIA qui nous est décrite est vraiment d'un haut comique ; les méchants sont plus méchants que nature, enfin on nous le dit, car on ne le voit vraiment pas ; Einstein avait pour mission, à la fin de sa vie, de concevoir une bombe atomique « pas chère » pour Israël ; le programme nucléaire iranien qui sert de fond aux événements est dans les mains d'une jeune femme très belle, évidemment, et qui tombe amoureuse du héros, linguiste portugais et cryptologue émérite ; la cryptologie dont il est question est vraiment d'un niveau élémentaire (à base d'anagrammes par exemple) au point qu'on se demande pourquoi l'expert met autant de temps à trouver le code ; le secret se trouve aux mains d'un moine tibétain ayant travaillé avec Einstein à Princeton...

    Et le tout à l'avenant. Je ne sais vraiment pas si l'auteur l'a fait exprès sur le modèle basique du « Da Vinci Code » uniquement pour être sûr de produire un roman qui rapporterait un maximum, ou s'il est vraiment incapable d'écrire une vraie histoire sur l'idée de fond qui sous-tend les 700 pages qu'il a quand même écrites. D'autant que la chute, le décryptage final du manuscrit d'Einstein, est d'une banalité fort décevante, flanquée d'une interprétation tarabiscotée. D'autre part, sans intrigue, la thèse qu'il essaie de démontrer conduirait à un ouvrage illisible, de la nature de l'essai, qui passerait totalement inaperçu. Je me demande déjà comment 2 millions de personnes ont pu lire ce livre contenant beaucoup plus d'exposés scientifiques ou philosophiques que d'action.

    Mais venons en maintenant au contenu, beaucoup plus intéressant. C'est un excellent résumé de l'état actuel de la physique et de la cosmologie, agrémenté de réflexions philosophiques induites par les avancées de la science. Je m'y suis retrouvé complètement, y compris dans les questions que je me pose et sur lesquelles j'ai déjà écrit des choses : une curieuse communauté d'interrogations, pourrait-on dire. A plusieurs reprises d'ailleurs, après un long exposé au bout duquel je me disais : « Oui, totalement d'accord, sauf qu'il a oublié ceci ou cela..  », je découvrais à la page suivante que l'objection que j'élevais était à son tour traitée...De plus, chaque exposé scientifique est construit à la manière d'un dialogue de Platon : l'expert, à l'image de Socrate, explique quelque chose à un novice, et à chaque étape du raisonnement, il demande l'accord ou les objections de celui-ci.

    Quant aux sujets traités, en voici la liste quasiment exhaustive :

    • la théorie atomique et les quatre interactions,

    • la fission et la fusion des atomes

    • les principes de la thermodynamique et l'entropie

    • la cosmologie : big bang, big crunch, univers multiples, fond diffus, matière noire,

    • la théorie de la relativité (RR et RG)

    • la mécanique quantique, la théorie du tout, le principe de non localité, le paradoxe EPR

    • les lois de l'univers et les constantes fondamentales

    • l'inerte, le vivant, la conscience, la mort, l'intelligence artificielle

    • la théorie du chaos

    • le théorème d'incomplétude de Gödel

    • la question de l'émergence, la complexité

    • le principe anthropique, le dessein intelligent

    • le déterminisme, le hasard, le libre arbitre

    • les interrogations sur Dieu, la nature, l'intentionnalité, la cause première

    • le bouddhisme, l'hindouisme, le taoisme, la kabbale



    Bigre, un roman qui parle de tout ça et qui s'est vendu à 2 millions d'exemplaires ! En fait, Dos Santos n'a pas réussi le pari de construire une histoire intéressante, mais il a pu néanmoins mettre à la portée de chacun des sujets passionnants et ardus. Même si les explications passent au-dessus de la tête de la plupart des lecteurs, il en restera quelque chose, au moins la connaissance de l'existence des sujets traités.

    Ce que dit Dos Santos sur ces thèmes est donc parfaitement exact. Ce n'est que lorsqu'il interprète à sa manière certains sujets pour exposer sa propre thèse qu'on peut le critiquer, ce qui arrive très clairement sur la question du dessein intelligent, avec les arguments connus sur les valeurs nécessaires des constantes universelles et l'infime hasard ayant conduit à l'apparition de la vie. Les discussions sont toujours vives sur ce sujet, et les arguments avancés par les uns et les autres ne s'appuient aucunement sur des démonstrations irréfutables : on est en plein dans le domaine de la croyance et du parti-pris. Dos Santos a simplement fait son choix en faveur de l'existence d'un dessein intelligent, mais il faut le reconnaître, d'une façon assez originale, en remplaçant Dieu par l'intelligence universelle planifiant les big bang et les big crunch successifs, évidemment sans dire comment cela peut se faire.

    Il y a un autre point sur lequel je ne comprends pas l'approche de l'auteur : pourquoi essaie t-il de montrer que dans les textes sacrés anciens (la Bible, le Bagavad Gita, etc) se trouvaient déjà les conclusions auxquelles arrive la science aujourd'hui ? Qu'est-ce que cela apporte ? Que veut-il prouver ? D'autant que les versets assez obscurs qu'il cite sont susceptibles de bien des interprétations, comme les prophéties de Nostradamus ou le décryptage de la Bible par la Kabbale...

    Je m'arrête là, car chacun des thèmes évoqués mériterait un développement détaillé, et cet article est déjà un peu long.


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  • Dix jours plus tard, Michel Tardieu m'a adressé le courrier suivant, dans lequel on voit qu'il botte en touche, se montrant ainsi aussi dogmatique et obstiné que les hauts fonctionnaires qu'il vilipende.

     

     Monsieur,

    Vous avez le droit de penser encore aujourd'hui que le pétrole est rare. C'était la mode au début des années 70 quand le Club de Rome influençait les théoriciens. Contrairement à toutes les prévisions faites dans ce contexte de pénurie artificielle, les réserves exploitables n'ont pas diminué.  Les découvertes compensant à peu près les commercialisations.

    Vous n'avez pas le droit, en revanche, de dire que les gens qui ne pensent pas comme vous ne sont pas sérieux, sinon il faudrait dire que toutes les grandes démocraties autres que la France qui ne sont dotées ni d'une agence pour les économies d'énergie, ni d'une heure d'été, ni d'une fiscalité pétrolière excessive ne sont pas sérieuses. C'est une politique énergétique malthusienne qui a aggravé les retards de l'économie française par rapport à ces principaux concurrents au cours des vingt dernières années. Il y a d'autres causes, certes, à nos insuffisances, mais celle-ci existe bel et bien quoi que vous en pensiez.

    Je vous prie de croire, Monsieur, à l'assurance de mes sentiments les plus sérieux...

     


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  • Outré par ce point de vue purement économique et polémique, j'ai adressé au "Nouvel Economiste" la lettre suivante.

     

    Monsieur le Rédacteur en Chef,

    On s'attend à retrouver dans les éditoriaux d'un hebdomadaire réputé, la quintessence des qualités qu'on lui reconnaît généralement. Force m'est de constater qu'il n'en est rien en ce qui concerne le Nouvel Economiste, pourtant renommé pour le sérieux de ses analyses et la qualité de ses collaborateurs.

    Ceci est une réflexion qui m'est souvent venue à l'esprit depuis que je lis les articles de Michel Tardieu, mais l'éditorial de votre livraison du 5 avril dernier a fait déborder le vase et me pousse à vous écrire pour vous dire ce que j'en pense - même si l'opinion d'un simple lecteur a peu de chances d'ébranler aussi peu que ce soit les certitudes affichées d'un journaliste trop connu.

    Je n'ai rien contre les écrits polémiques si ceux-ci, à travers des faits incontestables et des raisonnements argumentés, sont susceptibles de faire réfléchir le lecteur. La question de l'heure d'été, deux fois par an depuis quinze ans, met les médias en ébullition pendant quelques jours, sans que l'analyse objective du problème n'avance d'un iota :  ceux qui sont pour ressortent leurs arguments, ceux qui sont contre font de même. C'est un sujet qui suscite les passions et entraîne des réactions épidermiques.

    C'est pourquoi j'aurais bien apprécié que le Nouvel Economiste prenne de la hauteur par rapport au problème. Au lieu de quoi on ne trouve qu'une énième diatribe contre l'heure d'été, qui ne se démarque aucunement de dizaines d'autres qu'on a pu lire ou entendre ces dernières semaines. Bien au contraire, on veut nous faire croire que des affirmations gratuites, des attaques toujours aussi faciles contre l'administration source de tous les maux, et quelques figures de style hâtivement trouvées sont suffisantes pour convaincre, puisque de toute façon c'est M. Tardieu qui le dit.

    Une argumentation existe cependant, qui révèle de la part de son auteur une singulière absence de vue à long terme, tout à fait préoccupante chez un économiste de cette stature. Cette argumentation peut se résumer ainsi : le pétrole n'est pas rare, la meilleure preuve étant que les prix n'ont pas flambé malgré les événements du Golfe. Aussi, ceux qui préconisent l'augmentation des prix du brut sont des malfaisants, des suppôts des lobbies du nucléaire et de l'armement, ou alors des fonctionnaires incompétents imbus de leur importance.

    A mon avis, Monsieur Tardieu mélange plusieurs problèmes. Tout d'abord, comme lui, je pense que "l'énergie bon marché est favorable à l'activité industrielle et à l'emploi". Mais là n'est pas le sujet : depuis 1973, la production industrielle de la France s'est accrue de près de 40%, alors que la consommation d'énergie dans l'industrie n'a pratiquement pas varié et que la part du pétrole dans la consommation totale a chuté de 69% à 42%.

    Ensuite, il est vrai que les pays producteurs savent actuellement mettre à la disposition des consommateurs plus de pétrole que ceux-ci n'en utilisent, ce qui conduit logiquement à une baisse des prix. Le raisonnement est imparable, mais il n'est vrai qu'à court terme et donne, par les prix et non par les quantités physiques, l'illusion de l'existence d'une abondance énergétique.

    Illusion, car s'il est un fait indubitable, c'est qu'à long terme ( de 20 à 50 ans), les réserves de pétrole vont s'épuiser. Un jour prochain, dans 10 ans, dans 20 ans, les puits commenceront à produire moins,les nouveaux gisements seront plus difficiles et plus coûteux à exploiter, et les prix monteront. Les industriels qui ne se seront pas préparés à cette mutation s'en mordront les doigts.

    Enfin, n'est-il pas normal que que ceux qui nous gouvernent essaient de ménager une ressource énergétique tout à fait unique et non renouvelable, en la réservant autant que faire se peut à des usages "nobles", plutôt que de la brûler bêtement dans les embouteillages ou dans d'autres usages où d'autres vecteurs énergétiques, moins rares, plus performants, sont mieux adaptés ?

    Il est donc parfaitement scandaleux et irresponsable, quand on s'appelle Michel Tardieu, qu'on est lu et écouté par des milliers de patrons, et qu'on s'exprime dans un support aussi réputé que le Nouvel Economiste, d'affirmer qu'il vaut mieux vivre au jour le jour, le nez dans le guidon et les yeux sur les cours de la Bourse, qu'on peut gaspiller l'énergie puisqu'elle n'est pas chère, et qu'il faut jeter aux orties l'administration qui, comme chacun sait, ne sert bien sûr à rien. Parler de l'heure d'été dans ce contexte, c'est toucher une corde sensible pour faire passer en fait un message économique plus général qui ne lui est pas lié.

    On sait bien pourtant à quelles aberrations conduit la logique économique lorsqu'on l'utilise comme un dogme contre lequel on veut nous faire croire qu'on est impuissant : destruction de l'environnement au nom de la rentabilité et du profit, avant que l'opinion et la réglementationne viennent enrayer le processus ; absurdité de nos villes encombrées de voitures qui n'avancent pas, qui gaspillent une énergie noble et bientôtr rare, et qui là, oui, font perdre réellement chaque jour des milliers d'heures de travail, bien plus que la remise à l'heure des pendules deux fois par an...

    Avant de terminer, j'aimerais donc exprimer un souhait : que votre journal ne sacrifie pas, jamais, le sérieux de ses analyses et de ses argumentations, ainsi que la hauteur de ses vues, sur l'autel des sujets à la mode ou des critiques purement polémiques.Ceci n'interdit pas pour autant la lisibilité ni l'humour...

    Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de la considération d'un lecteur qui avait quelque chose de sérieux à vous dire sana avoir vraiment le talent de vos journalistes pour le dire aussi bien.


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  • En rangeant mes papiers, j'ai retrouvé un courrier envoyé en avril 1991 à la rédaction du "Nouvel Economiste", en réaction à un éditorial de Michel Tardieu qui s'en prenait à l'heure d'été et, au-delà, au "mythe" de la rareté du pétrole.

    A mon avis, cet échange est toujours d'actualité, même si on peut espérer qu'à la lumière des évènements depuis plus de 20 ans le brillant économiste  ait modifié son point de vue...

    Voici cet article, qui sera suivi de ma réponse, puis de sa réaction.

     

    "Viscosité"  par Michel Tardieu     (Le Nouvel Economiste - 5 avril 1991) 

    Le changement d'heure est un triomphe de l'entêtement administratif.

    Peu avant le début de l'offensive terrestre contre les troupes irakiennes, on entendait encore dire dans certains cabinets ministériels que les cours allaient flamber. Or, ils ont chuté avec les premiers mouvements des chars alliés.Depuis la guerre du Kippour, les services spécialisés de l'administration française se sont très souvent trompés dans leurs prévisions pétrolières et la manière de faire face aux périodes de crise.

    L'addition de ces erreurs ne change rien à la détermination d'une poignée de hauts fonctionnaires. Ils s'accrochent depuis vingt ans aux travaux du Club de Rome. Contre les démonstrations faites successivement par l'Iran et l'Irak, ils continuent à soutenir que le pétrole est une denrée rare. Héritiers de l'économie administrée chère aux générations qui les ont précédés dans les palais nationaux, ils se plaisent à penser que nous sommes, dès maintenant, menacés de tarissement des puits. Cette idée les remplit d'importance. Elle justifie qu'ils menacent régulièrement les automobilistes et les détenteurs de chauffage central de mesures draconiennes.

    Au nom de cette pénurie mythique, ils se font les alliés objectifs de tous les pays et les lobbies qui préconisent la hausse des prix. Pétroliers, fabricants de chaudières nucléaires, marchands d'armes purent, tour à tour, compter sur leur soutien. Leur triomphe : la thèse absurde du recyclage. Elle consiste à s'accommoder du renchérissement du brut sous prétexte qu'il permettrait aux pays producteurs d'importer davantage. La France devant reprendre à l'exportation ce qu'elle perd à l'importation. Le bon sens populaire sait qu'il vaut mieux tenir que courir. Pas certains esprits brillants de la haute fonction publique. Les longues ardoises que nous ont laissées Téhéran et Bagdad ne les ont pas calmés. Ils refusent, avec le même entêtement, un autre raisonnement simple. Celui que le président George Bush lui-même adopte désormais : l'énergie bon marché est favorable à l'activité industrielle et à l'emploi.

    La défection actuelle des Etats-Unis affaiblit évidemment le camp des partisans du pétrole cher. Mais en France, l'administration ne fait pas si facilement retraite. L'organe y survit à la fonction. Les bureaux créés pour l'indemnisation des victimes des inondations de 1910 survivaient cinquante ans après que la Seine fut rentrée dans son lit. L'Agence Française pour la Maîtrise de l'Energie, comme ses dépenses de 380 millions de francs ont encore de beaux jours devant elles.

    On continuera donc de sacrifier deux fois par an sur l'autel de ces vestales des basses températures. Une hécatombe ! Elles exigent, contre l'avis des pédiatres et des gérontologues, un peu du sommeil de tous ceux qui ont besoin  de rythmes réguliers. Elles ne dédaignent pas que les voyageurs internationaux prennent pour elles quelques risques supplémentaires. A la merci d'un aiguilleur du ciel ou d'un garde-barrière étourdis. Elles se régalent des tonnes d'horaires de compagnies de transport mis au pilon en leur honneur. Elles prennent pour un hommage les milliers d'heures de travail perdues pour remettre à l'heure les pendules et, pour les entreprises, les systèmes informatiques. Elles regrettent en revanche, que leur culte reste limité à la campagne, où les animaux ne connaissent que le cycle du soleil.

    En échange de nos dévotions, les experts en publicité coûteuse pour les économies nous annoncent que nous gagnons environ 250000 tonnes d'équivalent pétrole. Un chiffre que personne ne peut sérieusement vérifier, mais qui représente en valeur 10% des importations françaises de vin. A croire qu'il y aurait aujourd'hui en France un franc vineux sans consistance et un franc visqueux d'une autre densité. On marche sur la tête. Autre comparaison : l'économie réalisée dépasse légèrement la moitié du budget de l'Agence Française pour la Maîtrise de l'Energie.

    Qui dira enfin à ces empêcheurs de sonner à l'heure qu'il faut laisser le temps au temps ?


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