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A propos de Henry James
J'ai relu ces derniers jours un recueil de nouvelles de Henry James comprenant :
L'image dans le tapis
La redevance du fantôme
La vie privée
Les amis des amis
Elles sont plus ou moins vaguement fantastiques, à la manière feutrée de James, où tout réside dans l'atmosphère et le non-dit, comme dans le fameux « Tour d'écrou ».
« L'image dans le tapis » est sans doute la moins fantastique des quatre. Un écrivain dit avoir caché dans son œuvre une mystérieuse interprétation, un secret, que le narrateur et son ami cherchent en vain à découvrir. Jamais Henry James ne nous dit en quoi consiste ce secret, qui finit par peser sur la vie des trois personnes au cœur de cette affaire. C'est le mystère qui tient en haleine le lecteur, mais dont nous ne saurons rien, même si l'un d'eux dit l'avoir trouvé mais meurt avant de l'avoir révélé. C'est le récit de la course derrière une signification supposée qui se dérobe sans cesse par le jeu du hasard, ou celui du destin.
« La redevance du fantôme » est la plus explicitement fantastique du lot. Un vieillard qui a traité méchamment sa fille jusqu'à ce qu'elle en meure, dit être harcelé par le fantôme de celle-ci. A la fin, le fantôme devient compatissant et passe un marché avec son père : elle occupera seule sa maison, et en échange elle lui paiera un loyer. Le narrateur, étudiant en théologie, assiste aux paiement des loyers trimestriels et finit par croire en l'existence du fantôme. Jusqu'à la scène finale où tout est remis en question.
« La vie privée » est une approche subtile de la manière d'être des gens que l'on côtoie. L'un des personnages est un écrivain qui dans ses écrits est poète, profond et réservé, alors que dans la vie courante il se comporte comme un bavard ordinaire sans aucune originalité. Une double personnalité, qui semble se concrétiser par l'existence de deux personnes séparées. A l'opposé, Lord Mellifont, archétype de la bonne société londonienne, qui sait se comporter comme il faut en public en toute circonstance, mais n'a plus du tout d'existence quand il se retrouve seul, au point de disparaître physiquement quand personne n'est là pour le voir et l'écouter.
Enfin, « Les amis des amis » est narrée par une femme qui raconte l'histoire de deux personnes, un homme et une femme, qui ont été l'objet toutes deux dans leur jeunesse d'apparitions de revenants, et qui veulent se rencontrer pour essayer d'approfondir et de comprendre ce qu'ils ont vécu. C'est encore une course poursuite comme dans l'image dans le tapis car, malgré tous leurs efforts et ceux de leur entourage, ils ne réussiront jamais à se voir. Sauf peut-être la veille de la mort de la jeune femme, où s'affronteront deux thèses : celle de l'homme, persuadé que la femme est venue lui rendre visite puis est morte, celle de la narratrice, qui est persuadée que la femme est morte et que c'est son spectre qui est venu le hanter. C'est aussi par-delà la mort une histoire d'amour qui ne dit pas son nom, les amants qui ne se connaissent pas se cherchent sans le savoir jusqu'à la rencontre finale, ambiguë et dévastatrice, le tout dans un environnement très anglais.
Car ces nouvelles sont bien datées de leur époque, celle du XIXème finissant, avec l'engouement pour les tables tournantes, les apparitions d'ectoplasmes chez les médiums, le « mesmérisme », et globalement la forte croyance en l'existence des fantômes, au-delà de la croyance en l'immortalité de l'âme et en une vie après la mort.
Datées aussi sont les coutumes de la bonne société victorienne, qui apparaissent très clairement décrites dans les récits de James. La manière de se comporter en société, qui est la première chose d'importance, s'appuie entièrement sur les apparences, les manières de faire et de dire les choses (ou de ne pas les dire), les relations distantes et convenues entre fiancés et conjoints, la valeur du mariage réduite à son aspect social. Tout y est hypocrite et dissimulé, mais je n'ai pas réussi à me faire une opinion pour savoir si James était un fervent suppôt de ces coutumes ou s'il les décrivait pour s'en moquer à sa manière, sans y toucher semble t-il. Il parle pourtant de gens supérieurs et inférieurs, de ceux qui sont vulgaires par opposition à ceux qui sont « éduqués », comme si ces catégorisations allaient de soi, génétiquement intouchables comme les castes en Inde.
Mais il y a de l'humour qui transparaît parfois, trop rarement à mon goût, mais bien présent, et qui fait mouche à chaque fois, tout comme certaines descriptions, qu'on raterait presque en lisant trop vite, mais qui sont extrêmement révélatrices, avec une recherche de métaphores neuves exactement adaptées à ce qu'elles veulent évoquer.
Quelques exemples :
Les maisons près de Boston
...elles se tenaient sur des pentes herbeuses, à l'ombre traditionnelle d'un grand orme au feuillage incliné comme la cime pendante d'une gerbe de blé, leurs toitures enfoncées jusqu'aux oreilles, à cent lieues de prévoir la mode des toits à la française. Vieilles paysannes aux visages marqués par les intempéries, elles portaient tranquillement leurs coiffes sans rêver de chapeaux haut perchés qui exposeraient indécemment aux regards leurs fronts vénérables.
Le portrait de Lord Mellifont (Portrait caustique et ironique sur plusieurs paragraphes)
Cet homme, le plus beau, le plus accompli de son temps, ne pouvait jamais avoir paru mieux à son avantage que là, parmi nous, tel un chef d'orchestre affable qui d'un jeu de bras harmonieux eût conduit un orchestre encore un peu discordant. Il dirigeait par des gestes aussi irrésistibles que vagues une conversation qui, on le sentait, eût été sans lui dénuée de tout ce qui peut s'appeler le ton.(...) sans lui elle eût, en quelque sorte, manqué de vocabulaire ; elle eût, certainement, manqué de style car c'était un style qu'elle avait en Lord Mellifont. Lord Mellifont était un style. Ceci, une fois de plus me frappa dans la salle à manger du petit hôtel suisse alors que nous nous résignions à l'inévitable portion de veau.
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