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"La formule de Dieu" roman de José Rodrigues Dos Santos
Ce livre a deux facettes : en tant que roman, c'est une catastrophe, mais pour le contenu, c'est d'une part de l'excellente vulgarisation scientifique, et d'autre part une discussion fort intéressante sur le sens et le devenir de l'univers au travers de la science et de la spiritualité, avec deux ou trois réserves sur lesquelles je reviendrai.
Evacuons tout de suite les questions de forme. L'intrigue est un simple prétexte pour relier des exposés assez didactiques faisant le tour des grandes questions épistémologiques actuelles. En effet, la narration accumule les clichés les plus éculés de l'actualité politique internationale et du roman d'espionnage, sans aucun souci de vraisemblance sur tous les plans : la caricature de la CIA qui nous est décrite est vraiment d'un haut comique ; les méchants sont plus méchants que nature, enfin on nous le dit, car on ne le voit vraiment pas ; Einstein avait pour mission, à la fin de sa vie, de concevoir une bombe atomique « pas chère » pour Israël ; le programme nucléaire iranien qui sert de fond aux événements est dans les mains d'une jeune femme très belle, évidemment, et qui tombe amoureuse du héros, linguiste portugais et cryptologue émérite ; la cryptologie dont il est question est vraiment d'un niveau élémentaire (à base d'anagrammes par exemple) au point qu'on se demande pourquoi l'expert met autant de temps à trouver le code ; le secret se trouve aux mains d'un moine tibétain ayant travaillé avec Einstein à Princeton...
Et le tout à l'avenant. Je ne sais vraiment pas si l'auteur l'a fait exprès sur le modèle basique du « Da Vinci Code » uniquement pour être sûr de produire un roman qui rapporterait un maximum, ou s'il est vraiment incapable d'écrire une vraie histoire sur l'idée de fond qui sous-tend les 700 pages qu'il a quand même écrites. D'autant que la chute, le décryptage final du manuscrit d'Einstein, est d'une banalité fort décevante, flanquée d'une interprétation tarabiscotée. D'autre part, sans intrigue, la thèse qu'il essaie de démontrer conduirait à un ouvrage illisible, de la nature de l'essai, qui passerait totalement inaperçu. Je me demande déjà comment 2 millions de personnes ont pu lire ce livre contenant beaucoup plus d'exposés scientifiques ou philosophiques que d'action.
Mais venons en maintenant au contenu, beaucoup plus intéressant. C'est un excellent résumé de l'état actuel de la physique et de la cosmologie, agrémenté de réflexions philosophiques induites par les avancées de la science. Je m'y suis retrouvé complètement, y compris dans les questions que je me pose et sur lesquelles j'ai déjà écrit des choses : une curieuse communauté d'interrogations, pourrait-on dire. A plusieurs reprises d'ailleurs, après un long exposé au bout duquel je me disais : « Oui, totalement d'accord, sauf qu'il a oublié ceci ou cela.. », je découvrais à la page suivante que l'objection que j'élevais était à son tour traitée...De plus, chaque exposé scientifique est construit à la manière d'un dialogue de Platon : l'expert, à l'image de Socrate, explique quelque chose à un novice, et à chaque étape du raisonnement, il demande l'accord ou les objections de celui-ci.
Quant aux sujets traités, en voici la liste quasiment exhaustive :
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la théorie atomique et les quatre interactions,
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la fission et la fusion des atomes
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les principes de la thermodynamique et l'entropie
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la cosmologie : big bang, big crunch, univers multiples, fond diffus, matière noire,
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la théorie de la relativité (RR et RG)
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la mécanique quantique, la théorie du tout, le principe de non localité, le paradoxe EPR
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les lois de l'univers et les constantes fondamentales
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l'inerte, le vivant, la conscience, la mort, l'intelligence artificielle
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la théorie du chaos
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le théorème d'incomplétude de Gödel
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la question de l'émergence, la complexité
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le principe anthropique, le dessein intelligent
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le déterminisme, le hasard, le libre arbitre
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les interrogations sur Dieu, la nature, l'intentionnalité, la cause première
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le bouddhisme, l'hindouisme, le taoisme, la kabbale
Bigre, un roman qui parle de tout ça et qui s'est vendu à 2 millions d'exemplaires ! En fait, Dos Santos n'a pas réussi le pari de construire une histoire intéressante, mais il a pu néanmoins mettre à la portée de chacun des sujets passionnants et ardus. Même si les explications passent au-dessus de la tête de la plupart des lecteurs, il en restera quelque chose, au moins la connaissance de l'existence des sujets traités.
Ce que dit Dos Santos sur ces thèmes est donc parfaitement exact. Ce n'est que lorsqu'il interprète à sa manière certains sujets pour exposer sa propre thèse qu'on peut le critiquer, ce qui arrive très clairement sur la question du dessein intelligent, avec les arguments connus sur les valeurs nécessaires des constantes universelles et l'infime hasard ayant conduit à l'apparition de la vie. Les discussions sont toujours vives sur ce sujet, et les arguments avancés par les uns et les autres ne s'appuient aucunement sur des démonstrations irréfutables : on est en plein dans le domaine de la croyance et du parti-pris. Dos Santos a simplement fait son choix en faveur de l'existence d'un dessein intelligent, mais il faut le reconnaître, d'une façon assez originale, en remplaçant Dieu par l'intelligence universelle planifiant les big bang et les big crunch successifs, évidemment sans dire comment cela peut se faire.
Il y a un autre point sur lequel je ne comprends pas l'approche de l'auteur : pourquoi essaie t-il de montrer que dans les textes sacrés anciens (la Bible, le Bagavad Gita, etc) se trouvaient déjà les conclusions auxquelles arrive la science aujourd'hui ? Qu'est-ce que cela apporte ? Que veut-il prouver ? D'autant que les versets assez obscurs qu'il cite sont susceptibles de bien des interprétations, comme les prophéties de Nostradamus ou le décryptage de la Bible par la Kabbale...
Je m'arrête là, car chacun des thèmes évoqués mériterait un développement détaillé, et cet article est déjà un peu long.
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Commentaires
1bbbDimanche 16 Mars 2014 à 21:47Moi j'y ai vu des coquilles assez nombreuses, notamment (j'espère que c'est la faute du traducteur) une grosse erreur de chiffrage lors de la première explication du big bang (l'âge de l'univers ramené à 15 millions d'années au lieu de 15 milliards... et de même, écrire 15000 millions à la place de 15 milliards...). Et le coup du dessein intelligent qui pointe son nez sans dire son nom... Enfin bref, chasser un dieu anthropomorphique pour le remplacer par un dieu anthropique, c'est assez moyen.RépondreOui, bien sûr, il y a des coquilles plutôt que des erreurs, celles que tu cites en font partie. Mais je dirais que cela n'a pas beaucoup d'importance devant le fait que Dos Santos a su expliquer clairement et sans erreurs de fond des faits scientifiques complexes qu'il ne connaît que par oui-dire puisqu'il n'est "que" journaliste.
Quant au dessein intelligent, d'accord avec toi.
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