• Economie et énergie (2) La réaction d'un lecteur

    Outré par ce point de vue purement économique et polémique, j'ai adressé au "Nouvel Economiste" la lettre suivante.

     

    Monsieur le Rédacteur en Chef,

    On s'attend à retrouver dans les éditoriaux d'un hebdomadaire réputé, la quintessence des qualités qu'on lui reconnaît généralement. Force m'est de constater qu'il n'en est rien en ce qui concerne le Nouvel Economiste, pourtant renommé pour le sérieux de ses analyses et la qualité de ses collaborateurs.

    Ceci est une réflexion qui m'est souvent venue à l'esprit depuis que je lis les articles de Michel Tardieu, mais l'éditorial de votre livraison du 5 avril dernier a fait déborder le vase et me pousse à vous écrire pour vous dire ce que j'en pense - même si l'opinion d'un simple lecteur a peu de chances d'ébranler aussi peu que ce soit les certitudes affichées d'un journaliste trop connu.

    Je n'ai rien contre les écrits polémiques si ceux-ci, à travers des faits incontestables et des raisonnements argumentés, sont susceptibles de faire réfléchir le lecteur. La question de l'heure d'été, deux fois par an depuis quinze ans, met les médias en ébullition pendant quelques jours, sans que l'analyse objective du problème n'avance d'un iota :  ceux qui sont pour ressortent leurs arguments, ceux qui sont contre font de même. C'est un sujet qui suscite les passions et entraîne des réactions épidermiques.

    C'est pourquoi j'aurais bien apprécié que le Nouvel Economiste prenne de la hauteur par rapport au problème. Au lieu de quoi on ne trouve qu'une énième diatribe contre l'heure d'été, qui ne se démarque aucunement de dizaines d'autres qu'on a pu lire ou entendre ces dernières semaines. Bien au contraire, on veut nous faire croire que des affirmations gratuites, des attaques toujours aussi faciles contre l'administration source de tous les maux, et quelques figures de style hâtivement trouvées sont suffisantes pour convaincre, puisque de toute façon c'est M. Tardieu qui le dit.

    Une argumentation existe cependant, qui révèle de la part de son auteur une singulière absence de vue à long terme, tout à fait préoccupante chez un économiste de cette stature. Cette argumentation peut se résumer ainsi : le pétrole n'est pas rare, la meilleure preuve étant que les prix n'ont pas flambé malgré les événements du Golfe. Aussi, ceux qui préconisent l'augmentation des prix du brut sont des malfaisants, des suppôts des lobbies du nucléaire et de l'armement, ou alors des fonctionnaires incompétents imbus de leur importance.

    A mon avis, Monsieur Tardieu mélange plusieurs problèmes. Tout d'abord, comme lui, je pense que "l'énergie bon marché est favorable à l'activité industrielle et à l'emploi". Mais là n'est pas le sujet : depuis 1973, la production industrielle de la France s'est accrue de près de 40%, alors que la consommation d'énergie dans l'industrie n'a pratiquement pas varié et que la part du pétrole dans la consommation totale a chuté de 69% à 42%.

    Ensuite, il est vrai que les pays producteurs savent actuellement mettre à la disposition des consommateurs plus de pétrole que ceux-ci n'en utilisent, ce qui conduit logiquement à une baisse des prix. Le raisonnement est imparable, mais il n'est vrai qu'à court terme et donne, par les prix et non par les quantités physiques, l'illusion de l'existence d'une abondance énergétique.

    Illusion, car s'il est un fait indubitable, c'est qu'à long terme ( de 20 à 50 ans), les réserves de pétrole vont s'épuiser. Un jour prochain, dans 10 ans, dans 20 ans, les puits commenceront à produire moins,les nouveaux gisements seront plus difficiles et plus coûteux à exploiter, et les prix monteront. Les industriels qui ne se seront pas préparés à cette mutation s'en mordront les doigts.

    Enfin, n'est-il pas normal que que ceux qui nous gouvernent essaient de ménager une ressource énergétique tout à fait unique et non renouvelable, en la réservant autant que faire se peut à des usages "nobles", plutôt que de la brûler bêtement dans les embouteillages ou dans d'autres usages où d'autres vecteurs énergétiques, moins rares, plus performants, sont mieux adaptés ?

    Il est donc parfaitement scandaleux et irresponsable, quand on s'appelle Michel Tardieu, qu'on est lu et écouté par des milliers de patrons, et qu'on s'exprime dans un support aussi réputé que le Nouvel Economiste, d'affirmer qu'il vaut mieux vivre au jour le jour, le nez dans le guidon et les yeux sur les cours de la Bourse, qu'on peut gaspiller l'énergie puisqu'elle n'est pas chère, et qu'il faut jeter aux orties l'administration qui, comme chacun sait, ne sert bien sûr à rien. Parler de l'heure d'été dans ce contexte, c'est toucher une corde sensible pour faire passer en fait un message économique plus général qui ne lui est pas lié.

    On sait bien pourtant à quelles aberrations conduit la logique économique lorsqu'on l'utilise comme un dogme contre lequel on veut nous faire croire qu'on est impuissant : destruction de l'environnement au nom de la rentabilité et du profit, avant que l'opinion et la réglementationne viennent enrayer le processus ; absurdité de nos villes encombrées de voitures qui n'avancent pas, qui gaspillent une énergie noble et bientôtr rare, et qui là, oui, font perdre réellement chaque jour des milliers d'heures de travail, bien plus que la remise à l'heure des pendules deux fois par an...

    Avant de terminer, j'aimerais donc exprimer un souhait : que votre journal ne sacrifie pas, jamais, le sérieux de ses analyses et de ses argumentations, ainsi que la hauteur de ses vues, sur l'autel des sujets à la mode ou des critiques purement polémiques.Ceci n'interdit pas pour autant la lisibilité ni l'humour...

    Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de la considération d'un lecteur qui avait quelque chose de sérieux à vous dire sana avoir vraiment le talent de vos journalistes pour le dire aussi bien.

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