• Eloge de l'oisiveté

    Notes de lecture : " Eloge de l'oisiveté " de Bertrand Russell 

     

    Ce petit opuscule est facile à lire et intéressant bien qu’il soit tout de même assez daté et procède d’une analyse économique assez sommaire. En effet, il est sorti en 1932, à une époque où les théories économiques modernes n’étaient pas encore élaborées, et où par exemple les congés payés n’étaient pas à l’ordre du jour. C’est pourquoi on y trouve certaines naïvetés sur le droit des masses à l’inactivité….

    Quelques fortes paroles :

    « …le fait de croire que le travail est une vertu est la cause de grands maux dans le monde moderne, … la voie du bonheur et de la prospérité passe par une diminution méthodique du travail »

    « La morale du travail est une morale d’esclave, et le monde moderne n’a nul besoin de l’esclavage. »

    « Le loisir est indispensable à la civilisation, et, jadis, le loisir d’un petit nombre n’était possible que grâce au labeur du grand nombre.(….) Grâce à la technique moderne, il serait possible de répartir le loisir de façon équitable sans porter préjudice à la civilisation. »

    « Si l’on suppose, comme il est légitime, que le travail est dans l’ensemble désagréable, il est injuste qu’un individu consomme davantage qu’il ne produit. »

    « Si le salarié ordinaire travaillait 4 heures par jour, il y aurait assez de tout pour tout le monde, et pas de chômage (en supposant qu’on ait recours à un minimum d’organisation rationnelle). Cette idée choque les nantis parce qu’ils sont convaincus que les pauvres ne sauraient comment utiliser autant de loisir. »

    « Je veux dire qu’en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu’il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel système social, il est indispensable que l’éducation (……) vise en partie à développer des goûts qui puissent permettre à l’individu d’occuper ses loisirs intelligemment. »

    « Mais que va-t-il se passer lorsqu’on aura atteint le point où il serait possible que tout le monde vive à l’aise sans trop travailler ? »

    « Les ouvriers considèrent, à juste titre, que le travail est un moyen nécessaire pour gagner sa vie, et c’est de leurs heures de loisir qu’ils tirent leur bonheur. »

    « L’idée que les activités désirables sont celles qui engendrent des profits a tout mis à l’envers. (……………..) De manière générale, on estime que gagner de l’argent, c’est bien, mais que le dépenser, c’est mal. (…………….) Nous pensons trop à la production, pas assez à la consommation »

    « Sans la classe oisive, l’humanité ne serait jamais sortie de la barbarie. »

    « Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment. »

    Critique d’un de ses points de vue (il y en a d’autres qui le mériteraient, mais je ne vais pas les passer tous en revue) :

    « Supposons qu’à un moment donné, un certain nombre de gens travaillent à fabriquer des épingles. Ils fabriquent autant d’épingles qu’il en faut dans le monde entier, en travaillant, disons, huit heures par jour. Quelqu’un met au point une invention qui permet au même nombre de personnes de faire deux fois plus d’épingles qu’auparavant. Bien, mais le monde n’a pas besoin de deux fois plus d’épingles : les épingles sont déjà si bon marché qu’on n’en achètera pas davantage même si elles coûtent moins cher. Dans un monde raisonnable, tous ceux qui sont employés dans cette industrie se mettraient à travailler quatre heures par jour plutôt que huit, et tout irait comme avant. Mais dans le monde réel, on craindrait que cela ne démoralise les travailleurs. Les gens continuent donc de travailler huit heures par jour, il y a trop d’épingles, des employeurs font faillite, et la moitié des ouvriers perdent leur emploi. » 

    1/ NON : il y a des licenciements, il reste donc deux fois moins d’employés qui travaillent en effet huit heures par jour. Donc le prix de revient est divisé par deux, et comme il n’est pas utile de baisser le prix de vente, il y a plus de bénéfice pour les actionnaires, et les entreprises ne font pas faillite. Ou alors on garde tout le monde, en les payant deux fois moins pour ne travailler que quatre heures. Mais cela ne suffit pas pour vivre décemment.

    2/ NON : il n’y a jamais une seule entreprise, mais plusieurs qui sont concurrentes et ont chacune une part du marché. Celle qui va le plus baisser ses prix, même si les épingles ne sont pas chères, va tailler des croupières à ses concurrentes et augmenter sa part de marché. Pour cela, elle doit licencier la moitié de son personnel et baisser le prix de vente, à bénéfice égal.

    3/ NON : si on pousse son raisonnement jusqu’au bout, on peut imaginer une entreprise automatisée sans aucun ouvrier (ce qui n’est pas du tout irréaliste dans le cas évoqué). Peut-on sérieusement envisager alors de ne pas licencier les ouvriers et de les payer pour ne rien faire du tout ?


    Même si je ne suis pas économiste et je n’ai sans doute pas fait le tour de la question, il est clair que le raisonnement de Russell est un peu court…

    Mais tout de même, ce serait bien si ça se passait ainsi ! Ce serait une nouvelle forme de rationalité des agents économiques, opposée à l’ancienne, beaucoup plus humaine, et tout à fait soutenable. Penser à tous au lieu de ne penser qu’à soi ne veut pas dire forcément se transformer en collectiviste  forcené ou en gauchiste extrême.

     

    "Une relation dangereuse" roman de Douglas Kennedy »

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  • Commentaires

    1
    Pierre M.
    Lundi 10 Septembre 2012 à 15:16

    Deux observations : 1. Ne pas oublier non plus le "Droit à la paresse" de Paul Lafargue, le très sérieux gendre de Karl Marx. Mais peut-être est-ce plus à la rubrique philo qu'à celle de l'éco qu'il faudrait le mentionner. Il mérite d'être relu : beaucoup de ses affirmations, derrière des expressions ou des exempls obsolètes, trouvent un écho dans notre société contemporaine. Peut-être y trouvera-t-on aussi certains excés, consistant par exemple à considérer que le salariat est "le pire des esclavages" ou une certaine candeur comme le fait d'affirmer que "la machine est le rédempteur de l'humanité, le Dieu qui rachétera l'homme des sordidae artes et du travail salarié, le Dieu qui lui donnera des loisirs et la liberté" .

    2. Pas entièrement d'accord avec ta critique. Mais ce serait trop long à expliquer. A noter que l'exemple de la fabrication des aiguilles est un classique de la littérature économique, utilisé par Adam Smith (mais pas seulement lui) pour démontrer les vertus de la division du travail. C'est un peu comme ces "expériences de pensées" très utilisées par les scientifiques (Cf. Einstein). Elles ont leurs intérêts mais aussi leurs limites.

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