• "La clé de Salomon" roman de José Rodrigues Dos Santos

    Ce livre est en quelque sorte la suite de « La formule de Dieu », paru il y a deux ans, même si le seul personnage qu'on y retrouve est le héros, Tomas Noronha, historien, linguiste, cryptologue, expert en objets anciens, et je ne sais quoi encore. En effet, il semble bien être spécialiste d'un tas de choses hors de sa formation de base, et en particulier connaître en profondeur toutes les théories scientifiques les plus avancées.

     Les mêmes qualités et les mêmes défauts sont présents dans ce nouveau livre, un peu plus court que le précédent, mais plus de 500 pages tout de même. Je vais les reprendre ici.

     Sur le fond, c'est un exposé très pédagogique comme précédemment, centré cette fois sur la théorie quantique et la notion de réalité qui s'y rattache, même si au début se place un long passage portant sur le fonctionnement du cerveau et l'émergence de la conscience, thème malgré tout relié au précédent comme on va le voir. Tout ce qui est expliqué dans le texte est donc parfaitement exact, remarquablement exposé, bien mieux même que ce que j'ai pu lire très récemment dans un numéro spécial 1 de « La Recherche » intitulé : « La réalité n'existe pas ». Je ne vais pas reprendre ici la description de la théorie quantique et de toutes les « bizarreries » qui l'accompagnent, Dos Santos le fait très bien. Par contre, comme c'est par ailleurs un roman, il faut bien distinguer deux choses :

    • ce qui a trait à la description objective et historique de la théorie quantique, qui, je le répète, est très bien fait, même s'il faut parfois s'accrocher pour comprendre de quoi il est question ;
    • ce qui a trait à des hypothèses, des interprétations des faits et des expériences, sur lesquelles les physiciens eux-mêmes ne sont pas du même avis. Ici, Dos Santos fait son choix personnel sur l'interprétation qui lui convient le mieux, sans vraiment expliquer pourquoi, et sans le préciser clairement dans le texte. Il avait fait la même chose dans « La formule de Dieu », choisissant de défendre le principe anthropique en le présentant non comme une hypothèse mais comme un fait acquis.

     Il faut dire que la théorie quantique est une bénédiction pour les auteurs de science-fiction, puisqu'elle démontre scientifiquement et mathématiquement, sans pouvoir l'expliquer philosophiquement ou par le bon sens, des choses aussi curieuses que celles-ci :

    • une particule peut se trouver en deux endroits à la fois ;

    • si on ne l'observe pas, une particule existe sous différentes formes virtuelles dont une seule vient à l'existence au moment de l'observation. Transposé dans le macrocosme, cela revient à dire que « la lune n'existe pas si je ne la regarde pas », ou encore « qu'un arbre qui tombe dans la forêt ne fait aucun bruit s'il n'y a personne pour l'entendre » ;

    • on peut penser que le futur influence le passé ;

    • deux particules reliées à l'origine (« intriquées ») n'en forment qu'une, même si elles se trouvent à des millions de km l'une de l'autre ;

    • pour aller d'un point à un autre, une particule utilise tous les chemins possibles ;

    • c'est le hasard et non la causalité qui explique le monde ;

    Je m'arrête là, car discuter de la théorie quantique peut prendre des pages et des heures, et ce n'est pas en quelques lignes que l'on va ici régler la question. Je m'y exercerai peut-être dans un autre billet, plus tard.

    Néanmoins, le point crucial dans le livre n'est pas de faire comprendre aux gens ce qu'est la théorie quantique (les meilleurs physiciens s'y cassent les dents depuis près de 100 ans, car elle marche, mais on ne sait pas pourquoi...), mais d'essayer de montrer que la conscience est au cœur de l'interprétation des faits observés. De nombreux savants se penchent sur cette question, que John Wheeler a synthétisée de la manière suivante : « L'univers n'existe que parce qu'il y a une conscience qui l'observe ». Je ne peux pas partager ce point de vue, pour trois raisons :

    • qu'est-ce que la conscience ? Nulle part dans le livre elle n'est définie de manière claire. Si on ne dit pas de quoi il s'agit, de quoi parle t-on exactement ?

    • cette phrase suppose que la conscience préexiste à l'univers, elle n'en ferait donc pas partie ? Ailleurs, la conscience est pourtant présentée comme une « émergence » de la vie, et la vie une émergence de la matière. Il y a une contradiction flagrante.

    • la conscience est assimilée en fait à la conscience humaine. Cela voudrait donc dire que si l'homme n'existait pas, l'univers n'existerait pas non plus. C'est encore une fois donner à l'homme une place privilégiée dans le monde, c'est se regarder le nombril en disant « Ah, qu'est ce qu'on est beaux et tellement différents des autres formes de vie ! », c'est donc faire de l'anthropocentrisme et oublier d'être modestes. Dans cette interprétation, l'âme et la religion ne sont pas loin, et aucun animal ne possèderait le moindre embryon de conscience.

    Pour moi, la réalité a une existence objective, qui apparaît sous diverse formes selon la manière dont on l'observe. Comme le dit Niels Bohr : « La tâche de la physique n'est pas de savoir ce qu'est la nature. La physique s'occupe de ce que nous pouvons dire de la nature ».

     

    Parlons maintenant de la forme et de l'intrigue. Aucun progrès n'est perceptible entre ce livre et le précédent, j'ai même l'impression que Dos Santos s'en moque quelque peu. Même si on oublie le style et l'organisation du livre, il y a des choses qui seraient faciles à améliorer par n'importe qui, ne serait-ce que pour rendre l'histoire crédible, ce qu'elle n'est à aucun moment. Faisons brièvement un inventaire non exhaustif de ce qui ne va pas :

    • Noronha, cet historien qui parle de physique et décrypte les formules quantiques très complexes en quelques minutes devant un parterre béat d'admiration ;

    • Bellamy, ce directeur de la CIA qui, à ses moments perdus, a trouvé tout seul la « théorie du tout » que cherchent une armée de savants et prix Nobel depuis 50 ans ;

    • ce même directeur qui pénètre dans le CERN comme dans un moulin alors qu'une expérience cruciale et dangereuse est en cours, qui y circule sans être accompagné alors qu'on sait que c'est un agent de la CIA, et qui bidouille tranquillement les consoles d'accès avec la pointe de son couteau ;

    • le héros (historien) et sa compagne (directrice d'une maison de retraite), pourchassés par les tueurs de la CIA, qui se réfugient dans un labo et ne trouvent rien de mieux pour s'occuper que de faire des expériences de physique quantique pendant des heures ;

    • idem quand ils ont pénétré dans l'appartement blindé du directeur en crochetant la serrure les doigts dans le nez avec une épingle à cheveux, ils causent, ils causent ;

    • idem, alors que la compagne du héros est en danger de mort et qu'il ne lui reste plus que quelques minutes à vivre, Noronha fait un très long exposé sur les ordinateurs quantiques avec même des devinettes dedans, tout comme un conférencier dans un congrès international ;

    • les gens de la CIA sont, au choix, corrompus, méchants, bêtes, arrivistes, sans aucun sens moral. On sait bien que tout ça est un peu vrai, mais caricatural à ce point, c'est risible ;

    • on entre dans le saint des saints de la CIA à Langley comme dans un moulin (encore !) ;

    • l'accumulation de clichés éculés de romans policiers : une directrice de maison de retraite qui crochète les serrures avec brio et avec une épingle ; le coup du crayon qui révèle le texte en creux sur un bloc-notes ; le pistolet qui s'enraye au moment crucial (ouf!) ; le mot de passe de l'ordinateur de la CIA (la date de naissance du directeur !) craqué en deux minutes par un génial hacker ;

    • Maria Flor, la seule femme du roman, qui ne sert strictement à rien, sinon à faire les questions et les commentaires pendant les exposés scientifiques, comme dans les dialogues socratiques, qui fait la tête quand son copain n'est pas gentil avec elle, et qui fait monter une tension « insoutenable » dans la dernière partie quand elle est prisonnière et que son copain disserte doctement.

    Bref, beaucoup de facilité dans cet aspect du livre, qui contraste de manière évidente avec le sérieux des exposés techniques, qui ont dû demander à Dos Santos énormément de travail. Et un ensemble qui rend encore plus incompréhensible le succès du livre précédent et sans doute le succès à venir de celui-ci : de la vulgarisation scientifique de haut niveau, intéressante mais difficile, mal servie par une histoire peu crédible.

    Quant à la conclusion, elle est simple mais n'apporte rien de particulier : l'univers est un ordinateur quantique. Et alors?

    La réalité est finalement ce qu'en disait déjà le Bouddha :

    « Le monde n'est qu'un songe, ses trésors un mirage. Les choses sont irréelles, tout est pure évanescence. »

     

    1  "La Recherche" numéro spécial juillet-août 2014

     

    « "La formule de Dieu" roman de José Rodrigues Dos SantosRéflexions critiques »

  • Commentaires

    1
    Jeudi 9 Octobre 2014 à 17:59

    Bonjour,

    Je suis très impressionné par vos raisonnements à propos de la théorie quantique qui me dépasse ! Radicalement. Moi qui me félicitait d'avoir découvert un blog traitant notamment de littérature. Tout cela parce que j'écris et suis édité chez Hélène Jacob. J'ose vous laisser un lien vers mon site... si le coeur vous en dit...

    Mon dernier roman (policier) met en scène un monde de l'ombre qui rencontre un protagoniste à la nature si fantaisiste qu'il en résulte plusieurs scènes cocasses. Son titre : "Micmacs horribilis".

    Peut-être au plaisir de vous lire.

    Cordialement.

    Jean-Claude Thibault

    2
    Xavier
    Mardi 2 Juin 2015 à 21:33

    Bonjour JJ,


     


    Merci pour ce très bel article synthétique!


    Je termine juste le bouquin et je partage beaucoup de tes commentaires et de ta vision du roman. J'ai donc eu envie de réagir à ton écrit.


    En effet, il s'agit d'un énorme travail de vulgarisation scientifique, comme dans le premier opus "la formule de dieu"! Je pense que le profane doit vraiment s'accrocher pour comprendre les explications des phénomènes quantiques, même si tout est mainte fois répété.


    Étant moi-même un peu physicien, la mécanique quantique est très difficile à expliquer, qui plus est à quelqu'un qui n'a pas de pré-requis en physique. Son approche est vraiment excellente et permet de dégrossir assez simplement certaines notions pourtant ô combien difficiles à expliciter, sachant que même les physiciens ont parfois du mal à les intégrer/accepter comme c'est régulièrement décrit dans ce livre.


    Comme tu l'as noté dans ton article, l'énormité du travail de vulgarisation contraste vraiment avec la qualité de roman policier de cet ouvrage! J'ai bien aimé tes remarques sur les nombreux clichés: la petite amie qui n'a aucun rôle, l'ouverture des portes à l'aide d'une épingle, le mot de passe du PC du chef de la CIA qui est sa date de naissance etc... La palme tout de même à Mr Bellamy qui, en plus de son activité de chef de la Direction des Sciences et technologies de la CIA, qui soit dit en passant doit être très prenante, a trouvé le temps de résoudre la plus grande énigme de la physique théorique en développant la théorie du tout...


    Personnellement j'ai préféré l'approche du premier roman (la formule de dieu) où Tomas est un historien-cryptologue et où il côtoie d'éminents scientifiques (comme son père (grand mathématicien) ou son ami bouddhiste qui a étudié la physique avec Einstein et le Pr Siza) qui donnent légitimement des explications à Tomas sur l'univers et les questions philosophiques qui tournent autour de sa compréhension.


    Là, dans "la clé de Salomon" qui est la suite de "la formule de Dieu", Tomas est (apparemment en quelques années) devenu spécialiste en mécanique quantique et en histoire de la physique du 20ème siècle! Qu'il ait acquis des connaissances scientifiques cela peut se comprendre étant donné ses découvertes et leur portée dans le premier volet. Mais de là à avoir tout compris de la mécanique quantique et d'être capable de déchiffrer en moins de 15 minutes les travaux de Bellamy sur sa soit-disant théorie du tout, qui cela dit en passant doit être rédigée dans une terminologie hautement complexe pour un non spécialiste et même pour un physicien non-théoricien, c'est complètement abusé !


     


    Je lirai tout de même le prochain opus s'il y en a un (je ne parle de celui sur le Christ) et si la science y est toujours à l'honneur, car ces deux livres sont tout de même pour moi une belle découverte littéraire !


     


    Merci à toi JJ et bonne continuation!


     


    Xavier

    3
    Alex
    Jeudi 4 Juin 2015 à 15:37
    Salut,

    Je viens de finir le livre et je suis absolument d accord avec ce qui a été dis plus haut, j ai appris énormément dans c est 600 pages ainsi que dans les 2 romans précédents.

    Mais mêmes si on passe au dessus de tous les raccourcis classiques et facile du roman policier, personne n'est choqué (attention spoilers) que 5 personnes soient mortes parce qu'un gars voulait en finir de façon original, d'un point de vue purement romancier cette histoire est réellement mauvaise et sert juste d excuse pour étaler ces connaissances, je n arrive pas à comprendre les motivations de l auteur?
    4
    solomon's key
    Jeudi 20 Août 2015 à 18:10
    La conscience de l'Univers dont il est question dans le livre n'est pas assimilée à la conscience humaine mais à celle d'un ordinateur quantique macroscopique. La conscience humaine est seulement biochimique, ce qui fait une différence de l'ordre 1 sur 10 puissance 60 si on considère que l'ordinateur biochimique humain pèse un kilogramme et l'ordinateur universel 10 puissance 60 kilogrammes.

    L'auteur ne fait que vulgariser des choses que les gens ne vont pas trouver par eux-même à la télévision, c'est déjà pas mal, qui plus est pour une "ancre" de la télé rompue à toutes les méthodes d'abrutissement du media.

    Les invraisemblances sont nombreuses, il faut souligner la conscience du monde de la CIA qui n'est pas suffisante. Mais qui voudrait décrire en détail le monde de l'Agence? Qui sait encore qu'elle tient les rênes des événements du monde réel, avec des chevaux de troie qu'elle nous a habilement autoimplantés dans notre inconscient quotidien comme Facebook par exemple...

    Pour en revenir au sujet, qui est l'insipidité de l'histoire, plusieurs hypothèses concourrent. Soit l'auteur a décidé qu'il avait le temps de s'y coller lui-même et de se passer d'un nègre pour la partie thriller cette fois, car dans la formule de Dieu le travail est un poil plus léché de ce côté là. Soit il a cette fois fait appel au travail d'un nègre. un peu amateur ou pressé pour la partie roman policier. Il n'y a même pas de dialogues à la Tarentino par exemple qui auraient pu relever le niveau.

    Mais pour savoir laquelle est vraie il faut en appeler à la conscience de l'auteur, qui écrit pour faire de l'argent et il a à près tout bien raison...

    Je connaissais l'hypothèse de l'Univers "autoconscient". La mode du selfie n'a pas d'âge.
    5
    Samedi 21 Septembre 2019 à 15:07

    Au delà des considérations sur le roman lui-même qui, effectivement présente pas mal de failles (on voit bien que l'histoire n'est qu'un prétexte à nous faire voyager dans la "théorie du tout") je trouve que Dos Santos vulgarise avec brio beaucoup d'interrogations qui se posent à propos de la dualité "théorie de la relativité" et "mécanique quantique", déterminisme et non-déterminisme. Rien que cet aspect lui pardonne très largement toutes les faiblesses du roman.

    On voit bien qu'il fait une conférence aux gens de la CIA alors que son amie est à quelques minutes d'être tuée. Il semble très serein, très zen, peu pressé dans ses explications détaillées. Là est l’invraisemblance. Qui aurait le cran de faire de même ? Si, peut-être, les astronautes d'Apollo 13 qui, lorsque leur vie est menacée, ont le sang froid de faire des manoeuvres complexes pour orienter manuellement leur capsule dans l’atmosphère tout en sachant que, à quelques degrés près, ladite capsule pourrait se désintégrer et leurs vies avec. Non , le but premier du roman (le seul but même) est une exposition des interrogations de la physique moderne. L'histoire n'est qu'un paravent.

    Mais, sur le plan purement littéraire, il y a une question qui me taraude. Comment les traducteurs ont-ils fait pour reproduire la phrase de Bouddha dans toutes les langues ?

    La première lettre des chapitres + le prologue et l'épilogue donne la phrase et la signature.

    Dans la version française il y a 87 chapitres + prologue et épilogue soit 89 lettres. Or dans toutes les autres langues le nombre de lettres est nécessairement différent puisque  les mots sont différents, plus courts ou plus longs. Le nombre de chapitres varierait donc en fonction de la langue ? J'ai bien envie de faire l'acquisition de la version anglaise pour en avoir le cœur net. Si c'est le cas c'est un tour de force de traduction assez unique en son genre. 

    Qu'en pensez-vous ?

      • Samedi 21 Septembre 2019 à 16:20

        La version originale est en portugais. La question que tu soulèves est en effet de savoir comment a fait le traducteur quelle que soit la langue. Cela doit d'ailleurs être encore foncièrement différent si on veut faire une traduction en chinois ou en japonais. Mais c'est quand même un problème mineur, il y a différentes possibilités pour le résoudre, dont celles que tu cites. On peut dire aussi que le texte original est dans une langue et une seule, et que c'est uniquement avec celle-ci qu'il faut lire la phrase.

    6
    ivan jobin
    Lundi 14 Décembre 2020 à 16:08

    J'aimerais voir un jour, un livre  écrit de vous , contenant un résumé de tout le contenu scientifique de vos romans.

    7
    Asma
    Samedi 22 Octobre 2022 à 09:18
    Je viens de lire le livre.le côté scientifique est très intéressant,il soulève le voile sur un monde que les non initiés ne connaissent pas.Cependant je vous rejoins sur l'intrigue j'ai eu du mal à la digérer elle n'est pas à la hauteur des attentes !en fait j'ai eu du mal à terminer le livre!
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