• Neurosciences et philosophie

    Marie-Odile m’a prêté (ou donné ?) récemment un exemplaire de la revue « Connaître », organe semestriel de l’association « Foi et culture scientifique », affiliée au réseau Blaise Pascal. Ce numéro (36-37) de décembre 2011 retranscrit les actes du colloque « L’humanité de l’homme bouleversée par les neurosciences ? » qui s’est déroulé en avril 2011.

    J'y ai noté plusieurs choses concernant les notions de déterminisme et de liberté.

    Déterminisme et liberté

    C’est le cœur du sujet traité par Bernard Feltz[1]. C’est aussi une partie importante du sujet que j’introduirai au début de 2013 au Café-Débat sous le titre : « Quelle est la place du hasard dans notre vie ? »

    Il a trait à une problématique qui m’intéresse depuis longtemps, sur laquelle j’ai déjà écrit un peu, et que je souhaite approfondir. J’y retrouve notamment un point qui m’interroge beaucoup : pourquoi les plus éminentes personnes traitant de ce sujet semblent-elles toujours confondre l’impossibilité pour l’homme de prédire le futur, avec une forme d’indéterminisme, voire de hasard ? Par exemple, il dit, page 35 :

    «  Le déterminisme au niveau microscopique est parfaitement compatible avec une imprédictibilité au niveau macroscopique. »

    C’est exactement la même question qui est énoncée dans l’étude du « chaos déterministe » : ne pas être en mesure de prévoir le comportement d’un système en raison de la sensibilité aux conditions initiales, semble très souvent être assimilé à un comportement aléatoire, ce qui n’est pas le cas.

    Mais reprenons ce que dit Bernard Feltz :

    « Chercher à expliquer, pour le neuroscientifique, revient à tenter de mettre en évidence un lien de causalité entre le fonctionnement du système nerveux et le comportement de l’individu. »

    Il en déduit ensuite que :

    « …(ceci) touche au fondement de notre conception de l’humain : en quel sens peut-on parler d’individu libre, si on prend au sérieux les déterminations corporelles du comportement ? »

    tout en donnant à la liberté cette définition avec laquelle je ne suis pas d’accord :

    « Le concept de liberté ou de libre-arbitre renvoie à cette impossibilité de prédiction associée à la complexité du système nerveux ».

    Je ne vois pas du tout pourquoi la plupart des auteurs relient l’impossibilité de prévoir soit à l’existence d’une liberté de l’homme, soit à une remise en cause de la causalité, fût-ce au niveau macroscopique uniquement.

    Dans cette conférence, Bernard Feltz ne propose pas une nouvelle approche de la question de la liberté. Il énonce diverses positions anciennes ou plus récentes, et les étudie à la lumière des avancées des neurosciences.

    L’approche de Henri Atlan :

    Bernard Feltz commence, je ne sais trop pourquoi, par la thèse de Henri Atlan qui s’appuie, pour sa démonstration, sur le fonctionnement d’un réseau booléen ( "réseau de neurones") qui serait l’archétype simpliste du fonctionnement du cerveau. C’est une approche voisine de celle du chaos déterministe : dès que le réseau comporte trop d’automates, même si le comportement de ces automates est absolument déterministe, on ne peut plus à un moment donné prédire l’état du système global, c’est trop compliqué pour être accessible aux calculs. Selon la disposition des entrées, on constate qu'une partie du système se stabilise, le reste demeurant instable et fluctuant, sans qu’on puisse dire pourquoi ni comment.

    Il en tire deux conclusions :

    • La stabilité ou l’instabilité sont des propriétés émergentes, qui existent au macroniveau sans pouvoir être déduites des propriétés des automates eux-mêmes. Il s’agit « d’auto-organisation ». Le déterminisme du microniveau engendre des propriétés nouvelles au macroniveau ;
    • Cette nouveauté n’en est une que parce qu’elle n’est pas calculable, donc prévisible : l’émergence n’est que le reflet de notre impossibilité de prédire le comportement d’un ensemble très complexe : « l’auto-organisation, c’est l’émergence de propriétés nouvelles, imprédictibles, au sein d’un système déterministe ».

    Cette manière de voir les choses ne me satisfait pas du tout. D’abord, si on a un réseau de 20 x 20 automates, on peut calculer l’évolution du système, qui est donc parfaitement prédictible. On peut donc dire, selon Atlan, qu’il n’y a rien de nouveau, puisqu’on déduit tout cela, par le calcul, des conditions initiales et des connexions entre automates. Mais si on passe à 1000 x 1000, on ne peut plus calculer l’évolution du système, et par conséquent, puisque c’est imprédictible, on constate l’état du réseau et on dit que c’est nouveau ! Le fait de pouvoir calculer ou pas un état macroscopique ne change pourtant rien, il n’y a pas de différence de nature entre le 20 x 20 et le 1000 x 1000, mais simplement une limitation de nos moyens pour calculer ce qui se passe.

    Par conséquent, déduire de ce raisonnement que « le concept de liberté ou de libre-arbitre renvoie à cette impossibilité de prédiction associée à la complexité du système nerveux » me semble abusif. Une analogie, ou un exemple bien choisi n’ont jamais remplacé une démonstration. Cela voudrait dire que notre liberté résulte dans le fait de ne pas savoir pourquoi on agit, alors qu’en fait, si on pouvait tout calculer, elle n’existerait pas, n’étant que le résultat d’un enchaînement de causes et d’effets parfaitement déterministes. Notre liberté ne serait ainsi qu’illusoire, fruit de la complexité des interactions neuronales ?

    La position de H.Atlan se rapproche de celle de Spinoza, lequel dit que le déterminisme intégral rend la science possible, et renvoie à l’omniscience de Dieu : Dieu sait tout, mais l’homme ne le peut et en ce sens sa liberté est illusoire, mais c’est une illusion nécessaire.



    [1] Bernard Feltz : Docteur en philosophie, professeur à l’Université Catholique de Louvain. Spécialisé dans les études philosophiques de la biologie.

    « L'autisme à la télévisionDéterminisme, hasard, conscience, liberté »

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