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    Tout à l'heure, je suis passé à la station service faire le plein de ma voiture. Pendant que le réservoir se remplissait, mon regard errait sur les autres véhicules qui faisaient la même chose, et je n'ai pu m'empêcher de me dire que cette scène pourrait être celle d'un musée du futur, rendue d'un réalisme criant grâce aux "nouvelles technologies" à venir.

     

    « Mesdames et messieurs, vous entrez ici dans la salle représentant une station-service du XXIème siècle, un endroit où les gens venaient plusieurs fois par mois remplir de carburant le réservoir de leur véhicule individuel afin de pouvoir se déplacer où ils voulaient quand ils voulaient ».

     

    Cela n'a rien à voir avec le progrès technique : le musée de l'automobile de Mulhouse, par exemple, montre l'évolution des voitures depuis l'origine, mais le point commun entre ces objets fort différents entre eux, c'est que tous utilisent un carburant. Je ne sais ce que seront les moyens de transport de demain, mais ils ne seront plus propulsés par des moteurs à combustion interne comme ceux du musée de Mulhouse. Ce type de véhicules aura définitivement disparu, du moins pour les déplacements individuels.

     

    Du coup, j'ai regardé ma voiture d'un autre oeil, non comme un objet commun de mon environnement habituel, quelque chose dont on se sert mais qu'on ne regarde pas, mais comme un objet de musée représentatif d'une époque disparue. Cela m'a fait drôle : se projeter dans le futur pour imaginer que les objets d’aujourd’hui sont des reliques du passé, est une expérience importante pour être attentif à ce qui nous entoure...Depuis, je ne regarde plus ma voiture de la même façon...

     

    Prolongeant ma réflexion, je me suis dit que je pourrais en dire autant de tous les produits qui nous environnent et qui, tous ou presque, font appel au pétrole pour exister : les vêtements, les moissonneuses batteuses, les objets en plastique, les avions, etc etc. En effet, quand il n'y aura plus de pétrole, dans quelques années, ou que celui-ci sera devenu tellement cher que seuls les plus riches pourront continuer d'en consommer, tous ces objets auront vécu, et la civilisation n’aura plus du tout l’aspect de celle d’aujourd’hui.

     

    Il va falloir que je bichonne ma bagnole, futur objet de musée, complètement obsolete pour nos descendants, relique d'un futur anticipé, représentant présent d'un passé prévisible...

     

     


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  •  J’ai fini hier soir ce bouquin commencé avant-hier, j’ai eu du mal à ne pas le lire d’une seule traite, car le suspense psychologique y est très bien mené.

    C’est une histoire extrêmement banale qui constitue la trame de l’histoire : deux journalistes célibataires se rencontrent au cours d’un reportage, ils se plaisent, ils couchent ensemble, elle tombe enceinte, ils se marient et vont s’installer à Londres, elle a une grossesse difficile, il ne l’aide pas beaucoup, elle fait une dépression postnatale après une césarienne, il la quitte pour une autre femme en « emportant » le bébé avec lui, il la fait déclarer inapte à élever son enfant, il lui fait encore plein de misères, puis elle sort enfin de sa dépression et se bat avec l’aide de deux ou trois personnes, il y a un procès où finalement la vilenie du mari apparaît au grand jour, on lui restitue le bébé, les méchants s’en vont en Australie et tout finit bien.

    Mais l’histoire n’est qu’un prétexte pour décrire les tourments psychologiques de la jeune femme, l’accumulation de bassesses du mari, les difficultés pour une américaine de se faire une place dans l’univers anglais londonien, la montée de la pression, la descente aux enfers de la jeune femme, puis sa remontée, et les arcanes d’un procès « familial » en Grande Bretagne.

    C’est un pavé de près de 600 pages, et donc on ne s’ennuie pas.

     

    Néanmoins, ce n’est pas un grand livre, pour différentes raisons que voici :

    Tout d’abord, les « ficelles » du suspense apparaissent vraiment trop clairement : la jeune femme est la gentille et le mari est le méchant, et quand le méchant fait des grosses méchancetés, on se met à bouillir pour savoir comment il va être puni, car il ne peut en être autrement. Ensuite, tous les évènements sont décrits et s’enchaînent assez clairement, sauf deux d’entre eux dont on nous dit qu’ils sont très importants, mais qu’on ne nous dévoile qu’à la fin bien sûr. On voit que c’est un procédé pour nous tenir en haleine, ce n’est pas amené naturellement dans le cours du récit.

    Ensuite, la progression dans l’intrigue est cousue de fil blanc : les malheurs s’accumulent sur la jeune femme les uns après les autres, elle s’enfonce de plus en plus et a du mal à réagir ; puis, d’un seul coup, tout se met à aller de mieux en mieux, il n’y a plus que des bonnes choses qui lui arrivent, elle redevient une battante,  jusqu’à l’explosion finale à l’issue du procès. On voit que l’auteur a fait son plan comme ça, mais trop c’est trop : que du mauvais, puis que du bon….Ca descend, puis ça remonte, et les méchants sont punis.

    Et puis il y a des invraisemblances sur le plan psychologique, ou du moins des choses dans le comportement des gens qui sont curieuses, mais dont on ne nous dit rien : pourquoi le mari a-t-il épousé la jeune femme pour la tromper et ourdir les pires méchancetés même pas deux mois après, alors qu’on nous a décrit en détail la passion qui les a liés jusqu’alors ? Pourquoi n’a-t-il pas fait comme avec les autres, les engrosser et les laisser tomber ensuite ? Pourquoi ne pas divorcer et s’en aller, puisque de toute façon il n’en a rien à faire de son fils ? Pourquoi faire les choses aussi salement, sachant que ce qu’il a fait et qu’on nous montre est indéfendable devant un tribunal ? Et enfin, pourquoi l’auteur nous dit-t-il, au moins au début, que les arguments du mari sont absolument imparables et justifient clairement le retrait du nourrisson à sa mère, alors qu’il est assez clair qu’il n’en est rien ? Par exemple, le plus gros argument du père consiste à dire que la mère est dangereuse pour son enfant parce qu’elle a dit deux fois, pendant son hospitalisation pour dépression grave, qu’elle avait envie de tuer son enfant. Qui ne dit pas ça dans la vie courante, même sans dépression, quand un bébé hurle pendant des heures ? Ou alors il faut en déduire que les juges anglais sont de gros nuls pour prendre ça au pied de la lettre et n’avoir rien vu ou rien voulu voir. Quant au prétexte de partir avec le bébé pour faire plaisir à sa maîtresse en mal d’enfant, c’est quand même difficile à faire passer parce que ça ne concorde pas du tout avec ce qu’on nous a dit du caractère du mari jusqu’à ce qu’il passe à l’action, même si l’auteur a ménagé des zones d’ombre.

     

    Bref, un bouquin agréable à lire, mais qui sent le fabriqué à plein nez.

     


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  • Notes de lecture : " Eloge de l'oisiveté " de Bertrand Russell 

     

    Ce petit opuscule est facile à lire et intéressant bien qu’il soit tout de même assez daté et procède d’une analyse économique assez sommaire. En effet, il est sorti en 1932, à une époque où les théories économiques modernes n’étaient pas encore élaborées, et où par exemple les congés payés n’étaient pas à l’ordre du jour. C’est pourquoi on y trouve certaines naïvetés sur le droit des masses à l’inactivité….

    Quelques fortes paroles :

    « …le fait de croire que le travail est une vertu est la cause de grands maux dans le monde moderne, … la voie du bonheur et de la prospérité passe par une diminution méthodique du travail »

    « La morale du travail est une morale d’esclave, et le monde moderne n’a nul besoin de l’esclavage. »

    « Le loisir est indispensable à la civilisation, et, jadis, le loisir d’un petit nombre n’était possible que grâce au labeur du grand nombre.(….) Grâce à la technique moderne, il serait possible de répartir le loisir de façon équitable sans porter préjudice à la civilisation. »

    « Si l’on suppose, comme il est légitime, que le travail est dans l’ensemble désagréable, il est injuste qu’un individu consomme davantage qu’il ne produit. »

    « Si le salarié ordinaire travaillait 4 heures par jour, il y aurait assez de tout pour tout le monde, et pas de chômage (en supposant qu’on ait recours à un minimum d’organisation rationnelle). Cette idée choque les nantis parce qu’ils sont convaincus que les pauvres ne sauraient comment utiliser autant de loisir. »

    « Je veux dire qu’en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu’il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel système social, il est indispensable que l’éducation (……) vise en partie à développer des goûts qui puissent permettre à l’individu d’occuper ses loisirs intelligemment. »

    « Mais que va-t-il se passer lorsqu’on aura atteint le point où il serait possible que tout le monde vive à l’aise sans trop travailler ? »

    « Les ouvriers considèrent, à juste titre, que le travail est un moyen nécessaire pour gagner sa vie, et c’est de leurs heures de loisir qu’ils tirent leur bonheur. »

    « L’idée que les activités désirables sont celles qui engendrent des profits a tout mis à l’envers. (……………..) De manière générale, on estime que gagner de l’argent, c’est bien, mais que le dépenser, c’est mal. (…………….) Nous pensons trop à la production, pas assez à la consommation »

    « Sans la classe oisive, l’humanité ne serait jamais sortie de la barbarie. »

    « Les méthodes de production modernes nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans l’aisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misère pour les autres : en cela nous nous sommes montrés bien bêtes, mais il n’y a pas de raison pour persévérer dans notre bêtise indéfiniment. »

    Critique d’un de ses points de vue (il y en a d’autres qui le mériteraient, mais je ne vais pas les passer tous en revue) :

    « Supposons qu’à un moment donné, un certain nombre de gens travaillent à fabriquer des épingles. Ils fabriquent autant d’épingles qu’il en faut dans le monde entier, en travaillant, disons, huit heures par jour. Quelqu’un met au point une invention qui permet au même nombre de personnes de faire deux fois plus d’épingles qu’auparavant. Bien, mais le monde n’a pas besoin de deux fois plus d’épingles : les épingles sont déjà si bon marché qu’on n’en achètera pas davantage même si elles coûtent moins cher. Dans un monde raisonnable, tous ceux qui sont employés dans cette industrie se mettraient à travailler quatre heures par jour plutôt que huit, et tout irait comme avant. Mais dans le monde réel, on craindrait que cela ne démoralise les travailleurs. Les gens continuent donc de travailler huit heures par jour, il y a trop d’épingles, des employeurs font faillite, et la moitié des ouvriers perdent leur emploi. » 

    1/ NON : il y a des licenciements, il reste donc deux fois moins d’employés qui travaillent en effet huit heures par jour. Donc le prix de revient est divisé par deux, et comme il n’est pas utile de baisser le prix de vente, il y a plus de bénéfice pour les actionnaires, et les entreprises ne font pas faillite. Ou alors on garde tout le monde, en les payant deux fois moins pour ne travailler que quatre heures. Mais cela ne suffit pas pour vivre décemment.

    2/ NON : il n’y a jamais une seule entreprise, mais plusieurs qui sont concurrentes et ont chacune une part du marché. Celle qui va le plus baisser ses prix, même si les épingles ne sont pas chères, va tailler des croupières à ses concurrentes et augmenter sa part de marché. Pour cela, elle doit licencier la moitié de son personnel et baisser le prix de vente, à bénéfice égal.

    3/ NON : si on pousse son raisonnement jusqu’au bout, on peut imaginer une entreprise automatisée sans aucun ouvrier (ce qui n’est pas du tout irréaliste dans le cas évoqué). Peut-on sérieusement envisager alors de ne pas licencier les ouvriers et de les payer pour ne rien faire du tout ?


    Même si je ne suis pas économiste et je n’ai sans doute pas fait le tour de la question, il est clair que le raisonnement de Russell est un peu court…

    Mais tout de même, ce serait bien si ça se passait ainsi ! Ce serait une nouvelle forme de rationalité des agents économiques, opposée à l’ancienne, beaucoup plus humaine, et tout à fait soutenable. Penser à tous au lieu de ne penser qu’à soi ne veut pas dire forcément se transformer en collectiviste  forcené ou en gauchiste extrême.

     


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